LE PROBLÈME DES MATIÈRES PREMIÈRES 17
tinople, on eut la joie de découvrir l’alun non seulement en
terre. de chrétienté, mais au cœur des Etats de l’Eglise, à
Tolfa, près de Civita-Vecchia. N’hésitant pas à mettre les
foudres pontificales au service des intérêts commerciaux de
l'Etat romain, le pape interdit la vente de l’alun des infidèles
êt consacra les bénéfices de son propre monopole à la Croi-
sade. Mais voilà qu’on trouve l’alun près d’Ischia, dans le
Foyaume de Naples. Impossible d’empêcher la concurrence
de cet alun chrétien. Alors, entre l’alun romain et l’alun
Napolitain se négocie un cartel pour empêcher l’avilisse-
ment des prix. Il s’agit donc d’une matière dont l’histoire
commerciale touche. à l’histoire politique et à l’histoire re-
ligieuse.
J'ai essayé récemment, à propos d’une denrée de première
nécessité, le sel, de rechercher dans quelles conditions les
articles massifs de consommation courante pouvaient acqué-
tir une haute valeur politique et devenir, par conséquent,
dangereux pour la paix du monde ("). Je résume ici cette
démonstration. Non seulement au Moyen âge, mais jusqu’au
Milieu du xix° siècle, le chlorure de sodium était, bien plus
qu’aujourd’hui, un produit inestimable, parce qu’en dehors
de son utilité directe pour l’alimentation de l’homme et des
Animaux domestiques, il était à peu près le seul moyen de
Conservation des matières brganiques, spécialement des
viandes et du poisson. En particulier, le poisson de mer à
l’état frais avait alors un rayon de pénétration étroitement
limité - il ne pouvait, en raison de la lenteur et de l’irré-
gularité des communications, être d’ordinaire transporté à
l’intérieur qu’à une très faible distance des côtes. La salai-
Son était donc une nécessité, surtout en un temps où la mul-
tiplicité des jeûnes prescrits par l’Eglise faisait du poisson
UK article de grande consommation populaire.
Or, jusqu’au xvmn° siècle, on connaissait en Europe un très
Pelit nombre de districts producteurs de sel. Les marais sa-
lants étaient rares par définition, puisqu'ils ne peuvent s’ins-
taller que dans des mers à forte salure et sous des climats fa-
Vorables à l’évaporation. On prétendait même qu’il y fallait,
Comme diraient nos savants, des conditions de température
mme
{") Voyez l'appendice I.
Hauvsrr. Probl. écon.