PROBLÈMES ÉCONOMIQUES D'AUTREFOIS ET D'AUJOURD’HUI 3
en pleine mer et de le dérouter, de le diriger non plus sur
Liverpool, mais sur Bordeaux, à moins que ce ne soit sur
Gênes. Le prix que notre roi du blé consent à payer à Buenos-
Aires est une composante des prix de vente réalisables sur
tous les grands marchés du globe.
Comment, dira-t-on, comparer ce prestigieux brasseur
d’affaires, qui agit sur des millions et des millions de quin-
taux, avec le personnage qui obtenait d’un roi de France une
traite foraine, c’est-à-dire la permission de transporter en
Espagne quelques milliers de boisseaux, quand la France,
d'aventure, n’était pas en guerre avec l’Espagne? Si bien que
le pain coûtait plus cher, au nord des Pyrénées, quand la
France était en paix avec sa voisine.
Ainsi naît l’illusion qu’entre la vie économique de notre
temps et celle du passé il n’est pas de commune mesure, que
la différence n’est pas seulement de degré, mais de hature.
Mlusion aussi décevante que celle qui consiste à croire que
toutes choses sont toujours pareilles — eadem sunt omnia
semper, — que rien ne change avec les époques. Un peu
d'histoire nous donne à l’excès le sentiment de la différence.
Beaucoup d'histoire va nous ramener au sentiment de la
continuité.
À mesure, en effet, qu’on pénètre davantage dans le détail
de l’histoire économique, on s'aperçoit que bien des choses
que nous croyions toutes neuves sont déjà, et à plusieurs re-
prises, apparues sur la terre.
Qu'est-ce qui empêche l’observaleur de les reconnaître de
prime abord?
En premier lieu, elles n’ont pas la même forme, la même
couleur, parce qu'elles baigneht dans un autre milieu. Il ne
faut pas considérer l’histoire économique comme un tout en
soi, comme un monde autonome, un empire dans un empire.
Si nous voulions la définir, nous dirions volontiers qu'il n’y
à pas d’histoire économique, mais seulement une histoire
des aspects économiques de l’histoire humaine. Aspects in-
séparables des autres, dont nous les isolons pour les nécessités