146 LE TRAVAIL PENDANT LE HAUT MOYEN AGE Des millions d'hommes s'étaient ainsi trouvés assujettis à la domination de quelques milliers. Pour les anciens propriétaires libres, pour les colons, cette transformation avait été une déchéance. Pour la plupart des autres habi- tants de l’Occident, il est vrai, elle avait constitué une amélioration. L’esclavage s’était presque éteint et les multitudes, qui n’avaient d’autres moyens d’existence que la culture de la terre, avaient trouvé dans le servage an asile infiniment plus tolérable que l’antique servitude, tandis que les grands propriétaires s’assuraient ainsi les moyens de mettre en valeur le capital foncier, dont ils avaient le quasi-monopole. Une première-étape avait été tranchie sous l’influence de mobiles d’ordre presque entiè- tement économique. Les masses rurales avaient échappé à la condition dégradante des esclaves; elles avaient acquis ces deux biens inestimables, la personnalité humaine et la stabilité du foyer. Mais la dure existence qu’elles menaient encore ne laissait point présager l’ère de libé- ration qu’elles devaient connaître deux siècles plus tard. Malgré la prédominance du régime de l’économie agri- 30le qui caractérisait le haut moyen âge occidental, l’éco- nomie mobilière avait fait une timide réapparition, Des marchés régionaux s’étaient organisés ; le commerce inter- national lui-même avait été épauché. La production indus- -rielle se ranimait dans les domaines princierset monastiques >u danses centres urbains ressuscités. I] ne manquait plus à l’Europe chrétienne d'Occident que des cadres assez puissants pour la préserver d’une nouvelle chute dans la barbarie et qu’un levier nouveau, celui de la liberté, pour stimuler les forces latentes d’un monde régénéré. Jusque- là, c'était l'empire romain d’Orient qui avait été à l’avant- garde de l’histoire du travail; son rôle allait passer à l’Occident où s’était organisée une société pleine d’une sève nouvelle. L'un avait surtout conservé la civilisation anti- que, l’autre allait inaugurer une ère originale, supérieure en grandeur à toutes celles qui l’avaient précédée.