58 — LES ORIGINES HISTORIQUES DES PROBLÈMES ÉCONOM'QUES
trées de l’Ouest qui ont des mers tièdes et les pays de l’Eu-
rope centrale qui recèlent des salines. Pour se faire une idée
du volume de ces échanges, il faut se représenter à la fois
l’importance du rôle alimentaire du poisson dans une Europe
chrétienne où les jours d’abstinence étaient nombreux, et l’im-
possibilité où l’on se trouvait, vu l’état des transports à cette
époque, de faire voyager le poisson de mer à quelque distance
des côtes autrement qu’à l’état de salaison. Grâce à la Seine,
il y avait à Paris, au moins depuis la fin du xm° siècle, des
« poissonniers de mer », donc le poisson de Ja Manche pou-
vait y être consommé. Mais si, « dès la fin du xxw° siècle.
comme nous l’a fait remarquer M. Henri Laurent dans la Re-
vue belge de philologie et d’histoire (1928, t. VIT), les chevau-
cheurs de la cour de Dijon approvisionnaient régulièrement
en marée fraîche la cuisine des ducs de Bourgogne », n'ou-
blions pas que rien n’était trop cher pour satisfaire les appé-
tits de ces princes de la gastronomie. Mais ce luxe n’était pas
accessible aux simples gourmets.
Il suffit, pour mesurer l’importance de ce rôle joué par le
sel, de cônsulter la toponymie géographique : les noms de
Salins, de Saulnier, de Saulnois, de Seille en France, les noms
comme Salzburg ou Hall en Allemagne, Ssol en Russie, le
suffixe wich en Grande-Bretagne disent assez l’importance
qu’on attache, dans chaque pays, au précieux condiment.
Dans la Moscovie du xvr° siècle, la première grande fortuhe
capitaliste, celle des Stroganov, s’édifie sur cette base : ils
accaparent les salines, les raffineries, le matériel, les con-
duites, les greniers, et à ce monopole du sel ils joignent ceux
des pêcheries et des peaux de castors, c’est-à-dire des princi-
paux articles à saler (*). ;
‘Mais il est rare, pour les raisons ci-dessus données, que la
récolte indigène suffise aux besoins des pays qui font des
salaisons. Le sel est donc, pour eux, un produit d’importa-
tion. C’est là que l’histoire du sel est inséparable de celle du
hareng, inséparable aussi de l’histoire de la Hanse. Car c’est
la Hanse qui apporte à ses clients de la mer du Nord le Baie
(1) Kurrscuer, Russische Wirtschaftsgeschichte, t. L, 1925. Sur la Pe-
logne, voy. Sxipivsk1, Le commerce du sel au Moyen Age polonnis (en
pol. dans Mélanges Hundelsmann., 1928).