68 LES ORIGINES HISTORIQUES DES PROBLÈMES ÉCONOMIQUES
De même pour les pays d’outremer où il s'agissait de trans-
porter non plus du poisson, mais de la viande. Pour récolter
du sucre, fabriquer de la mélasse et du rhum aux Antilles, il
fallait alimenter en viande la population noire. Or les Indes
occidentales, vouées à la monoculture, n’avaient pas de chep
tel, sauf une petite quantité de porcs. Pour le bœuf, les îles
dépendaient des arrivages de la métropole, souvent attendus
avec impatience. En avril 1665, on écrit de la Guadeloupe :
« Dans cinq jours, il n’y aura plus une livre de viande dans
nos magasins » (*). Naturellement il s’agit du bœuf salé et,
comme on en manque en France, on s'adresse à l'Irlande. Il
est très curieux de constater que, durant tout l’ancien régime,
malgré les idées mercantilistes en matière coloniale, on n’ar-
riva pas à substituer le bœuf français au bœuf irlandais. Jus-
qu’au bout le Bureau du Commerce accorda des licences pour
ce genre de trafic (*).
Tout change avec l’apparition du baleau à vapeur et du che-
min de fer. On aurait bien ‘étonné nos aïeux — j'ehtends ceux
d’il y a un siècle seulement — en leur révélant qu’un des
principaux marchés européens de la marée fraîche serait à
Bâle, que vers cet emporium de l’Europe centrale se diri-
geraiont les provenances de Geestemünde et d’Ostende, de Bou-
logne et de la Rochelle ; bien plus, que cette ville deviendrait
à son tour un centre de redistribution, même pour des pays
pourvus de ports de pêche. Ce miracle, dû à deux causes :
l’accélération des transports‘et la haissance de l’industrie du
froid, a presque totalement dissocié ces deux éléments qui
paraissaient indissolubles, le poisson et le sel. La viande salée
a presque passé, pour les mêmes raisons, au rang de curiosité
culinaire.
Le rôle du sel a décru dans la mesure où apparaissaient
d’autres procédés de conservation. Les légumes ne sont plus
justiciables du sel que dans des économies domestiques extrê-
mement restreintes et rudimentaires. L’autoclave a tout trans-
formé. En ce qui concerne les chairs des animaux terrestres
ou marins, la gamme des procédés de conservation est plus
riche encore. De Liebie à Tellier. tout le progrès a consisté à
(1) Stewart L. Miws. Colbert’s West India Policy. 1912