38 LE TRAVAIL PENDANT LE HAUT MOYEN AGE
lisière des grandes forêts communes, en conquérants
paresseux, grossiers et brutaux. Les classes laborieuses,
qui travaillent pour eux, sont exposées à tous les hasards
d’une société déréglée et anarchique, où la violence est
la seule règle. La paresse, la stupidité, la grossièreté,
l’ignorance et la crédulité, la cruauté des Barbares ont
remplacé l’activité réglée, la politesse, la culture, l’huma-
nité relative des Romains. Nul respect pour les faibles,
pour le paysan, pour la femme, pour l’enfant. Nulle dis-
cipline, nul frein moral parmi ces envahisseurs, qui se sont
bornés à ajouter les vices des civilisés à leur dépravation
de Barbares. Loin de régénérer le monde, ils ont failli
faire sombrer pour jamais la civilisation. Ils ont détruit
en Occident des sociétés ordonnées, pour les remplacer
par des sociétés anarchiques. Loin d’apporter avec eux
la liberté, ils rétablirent l’esclavage. Loin de rapprocher
les classes, ils ont dressé entre elles de nouvelles barrières.
Loin d’adoucir la condition des classes inférieures, ils
l’ont rendue plus dure. Loin d’aider au développement
économique, ils ont ruiné toute activité, en semant par-
tout le pillage, le désordre et la ruine. Ils n’ont rien créé,
mais ils ont beaucoup détruit. Ils ont enrayé pour plu-
sieurs siècles tout progrès. Les établissements des Barbares
ont déterminé dans l'organisation de la société et du
travail une des régressions les plus profondes que le monde
ait connues. Leur seul résultat utile fut de rendre aux
élites le sens de l’énergie et le goût de l’action, de susciter
par contrecoup des essais de retour aux traditions du
gouvernement romain, et d’arracher l’Église à son rêve
mystique pour l’obliger à sauver du naufrage les débris
de la civilisation. En Orient, l'édifice romain avait résisté
à la tempête, il put servir de cadre à la restauration de
la société et du travail. En Occident, l’esprit et les insti-
tutions de Rome, adaptées aux conditions d’un milieu
nouveau, allaient inspirer les essais de restauration écono-
mique et sociale de la fin du haut moyen âge.