i La France mutilée, du 27 février 1921.
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bénéficiant d’une pension, il n’accepte du travail au-dessous des
tarifs syndicaux et ne contribue à la diminution des salaires.
Au milieu de toutes ces difficultés très réelles et de ces inquié
tudes, dont il faut reconnaître la légitimité, un fait indéniable
subsiste : les mutilés trouvent difficilement un emploi, et, pendant
les périodes de chômage, sont plus gravement atteints que les
autres travailleurs, comme le constatait, le 13 février 1921, le secré
taire général de l’Union fédérale des associations de mutilés et réfor
més de la guerre dans une lettre adressée au ministère du travail 1 :
« Nos camarades ont été presque partout congédiés les premiers, soit
parce que leurs infirmités les obligent parfois à interrompre leur travail
quelques jours, soit parce qu’ils ne sont pas tous des « spécialistes quali
fiés » ou auraient un rendement moins élevé, soit encore parce qu’ils
sont les derniers arrivés, n’étant placés qu’après la fin de la guerre... »
Le reclassement des invalides dans le monde du travail, déjà
difficile en lui-même, a été rendu plus difficile encore par les erreurs
qui ont été commises au début, et surtout par la crise économique
mondiale.
La première erreur a consisté à méconnaître l’importance et le
caractère du problème et à ne pas organiser le placement des
invalides avec méthode. Pendant la guerre et dans les mois qui ont
suivi la fin de la guerre, l’activité économique intense absorbait
facilement toute la main-d’œuvre disponible, même celle des tra
vailleurs dont le rendement était diminué. C’est ainsi qu’un très
grand nombre d’invalides ont obtenu rapidement des emplois de
manœuvre avec des rémunérations suffisamment élevées pour leur
permettre de ne rien demander à la rééducation professionnelle.
On a fait du placement, mais non du reclassement. Dès le début de
la crise économique, les premières conséquences de l’erreur com
mise n’ont pas tardé à se faire sentir; les entreprises obligées de
licencier une partie de leur personnel ont tenu à garder le personnel
le plus qualifié, et ainsi la grande masse des travailleurs invalides,
qui avait accepté, des emplois de manœuvres, a été rejetée sur le
marché du travail.
La seconde erreur a été de méconnaître la valeur de la rééduca
tion professionnelle et de la prothèse du travail. Jusqu’à la fin de
la guerre, la prothèse et la rééducation professionnelle ont subi une
longue crise de méfiance, aussi bien de la part des invalides eux-
mêmes que de la part des employeurs: c’était une opinion très
généralement répandue que les grands invalides n’étaient, dans la
plupart des cas, susceptibles d’aucun rendement professionnel appré
ciable, et qu’il appartenait à l’Etat de pourvoir à leur entretien,
au moyen de pensions suffisamment élevées ou par leur admission
dans des centres hospitaliers plus vastes et plus nombreux. Or, il
est prouvé aujourd’hui que, grâce aux progrès techniques et scien
tifiques de la prothèse de travail et à l’organisation méthodique de
la rééducation professionnelle, presque tous les invalides, même
très gravement atteints dans leur intégrité physique, sont susceptibles