LA RÉVISION DESs MARCHÉS DE GUERRE
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onéreux, de façon à alléger le fardeau des contribuables et à faire cesser
le scandale des fortunes mal acquises.
Très ordinairement d’ailleurs, les possesseurs de ces grosses fortunes
ont, par là même, une force politique assez grande pour contrarier les
mouvements de l'opinion publique. Ils ont l’appui spontané de tous ceux
qui ne veulent pas poser le précédent dangereux de la révision des mar-
chés de fournitures de l’État. Enfin, ils ont les moyens pécuniaires suf-
fisants pour exercer une pression sur les pouvoirs publics et sur la presse,
pour réduire leurs adversaires à des manifestations oratoires ou épis-
tolaires.
Il faut reconnaître d’ailleurs que juridiquement le problème n’est
pas facile à résoudre. C’est toute la question de la lésion comme vice
du consentement. La lésion est-elle un vice du consentement en droit
public, alors qu’en droit privé français, la lésion n’est pas, en règle, un
vice du consentement ?
Si la lésion est un vice du consentement, alors les contrats passés
pendant la guerre et entachés de lésion sont irréguliers. Une loi nouvelle
peut, pour faciliter le contrôle de la régularité des marchés, prescrire
une procédure spéciale, organiser une juridiction compétente spéciale
pour examiner la validité des centaines de milliers de contrats passés
par les administrations publiques pendant la guerre. Cette loi ne règle,
en réalité, que l’avenir. Elle ne touche qu’à des statuts, à des situations
juridiques générales et impersonnelles. Elle ne touche pas aux actes
conclus avant la loi nouvelle ; les contrats, irréguliers dès l’origine,
restent irréguliers ; la loi nouvelle n’organise que les moyens de faire
valoir plus facilement, plus rapidement, cette irrégularité.
Au contraire, si la lésion n’est pas un vice du consentement en droit
public, alors une"loi ne peut pas prescrire la révision des marchés. Ce
serait déclarer irréguliers, après coup, des marchés qui, au moment où
ils ont été conclus,”étaient réguliers, non entachés d’un vice du con-
sentement. ’
Dans le cas particulier des marchés administratifs, la difficulté juri-
dique paraît encore”plus grande, parce qu’elle s'aggrave d’une considé-
ration de fait : admettre le principe de la révision des marchés de l’ad-
ministration, n’est-ce pas jeter la suspicion sur les agents publics qui
les ont conclus ? Les marchés, en effet, n’ont été signés par les chefs de
services compétents qu'après avoir été étudiés par les administrateurs,
contrôlés par des commissions de contrôle. Tous ces agents sont-ils
donc des incapables ou des fripons ?
Cette objection de fait n’a, en réalité, pas beaucoup de valeur. En
temps de guerre, par la force des choses, certains services publics —
ceux qui passent les marchés — sont gérés par un personnel de fortune,