18 LES INITIATEURS ET LEURS AUXILIAIRES. RICHELIEU
réalités présentes, les vues d’avenir selon lesquelles il avait
entendu porter au loin la grandeur de son pays. Le cardi-
nal Mazarin, son successeur, avait bien, auprès de la
régente!, tous les pouvoirs que Louis XIII l'avait laissé lui-
même concentrer entre ses mains; mais, aux prises avec les
troubles de la Fronde, absorbé par les soucis intérieurs et
les obligations immédiates que le désordre général du
royaume lui imposerait, il n'aurait guère le loisir de s’in-
téresser à des entreprises lointaines et faciles à taxer
d’aventureuses. Les moyens manqueraient d’ailleurs si l’on
voulait agir; dans les ports, pour l'entretien et le dévelop-
pement d’une marine marchande, les ressources font défaut,
et, quant à notre marine de guerre, elle est devenue à peu
près inexistante.
Les difficultés sont telles que, pendant quelque temps,
l’œuvre commencée se ralentit et rencontre même l’indiffé-
rence générale. On ne va pas jusqu’à l’abandonner cepen-
dant. Sans doute, la bureaucratie sommaire que Richelieu
avait constituée près de lui, conservation d'archives per-
sonnelles au moins autant que service d’État, toute cette
centralisation à peine ébauchée est trop imparfaite pour
unir le présent au passé. Du reste, Mazarin a sa clientèle
et s’entoure le plus possible d'hommes nouveaux, gens à
tout faire trop souvent. C’est seulement plus tard qu’il
prendra Colbert, qu’il l’appréciera, et que celui-ci, cons-
cient des nécessités nationales, acquerra peu à peu l’auto-
rité nécessaire pour agir. Au lendemain de la mort de
Richelieu, Colbert n’a que 23 ans, et, jeune homme obscur,
inconnu, n’a d'expérience encore que celle des habitudes
d’ordre qu’il voit suivre dans la maison de commerce pater-
pelle. Michel Le Tellier le prendra pour secrétaire, et
commencera sa fortune, en 1648. En attendant, comment,
dans ce désordre intérieur, dans cette absence de transi-
tions et de traditions, n’oublie-t-on pas tout à fait le Nou-
veau Monde et la place que la France y a déjà prise?
1. Il avait été employé par Richelieu, bien avant sa mort. Le cardinal
le cite dans ses Mémoires dès 1630. — Cf. Mémoires du Cardinal de Riche-
leu. édition Petitot, 1823, t. VI, p. 127 et suivantes.