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PRÉFACE PAR G. MONOD.
XV
silencieux. Après tout, au point de vue égoïste de nos inté
rêts immédiats, cette politique de statu quo est vraisembla
blement celle qui nous est la moins désavantageuse, la seule
qui ne risque pas de faire éclater par accident une guerre
européenne dont personne ne pourrait prévoir l’étendue, la
durée, ni l’issue. Le mot d’ordre de la politique de M.Hano-
taux, intégrité de l’Empire Ottoman, quel que soit le dis
crédit qui s’y attache après toutes les atteintes qu’il a
reçues, était dicté par la prudence et l’intérêt national.
Mais il ne faut pas oublier que ce mot d’ordre ne conser
vera pas longtemps sa vertu, que la Turquie ne peut avoir
pour l’alliance franco-russe les sentiments qu’elle a eus
jadis pour l’alliance anglo-française ; que pendant que,
courtier bénévole et mal récompensé, nous dépensons nos
forces à concilier les intérêts, à apaiser les rivalités, à
panser les plaies, d’autres poussent leur pointe : les Anglais
avancent vers Khartoum, les Russes multiplient en Asie
mineure les écoles et les couvents, les Allemands inondent
l’empire ottoman de leurs produits, se font accorder des
chemins de fer et des colonies agricoles, se flattent de faire
de l’armée turque un corps détaché de l’armée allemande,
et commencent à jouer à Jérusalem même le rôle de grande
puissance catholique. Sans doute nous ne restons pas inac
tifs, et grâce à nos diplomates, à nos missions, à notre
Alliance Française, nous avons conservé jusqu’ici en Syrie
une situation prépondérante. Mais nous avons besoin de
faire d’immenses efforts pour ne pas laisser entamer cette
situation, aussi bien par les Russes que par les Allemands
et les Anglais. Dans cette rivalité pacifique, la seule qui
comporte des calculs et une action méthodique au milieu de
l’imbroglio oriental, nous ne devons compter sur l’aide de
personne, mais seulement sur notre propre énergie, et sur
l’antique prestige que conserve encore en Orient le nom de
la France comme celui de la puissance chrétienne et civili
satrice par excellence.
G. Monod.
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Versailles, 1898.