184 L’APOGÉE DU TRAVAIL MÉDIÉVAL et dans les gorges des monts, des asiles pour leur indépen- dance et leurs rapines. D’autres fois, ils ruminent dans l’ombre quelque revanche sournoise, et souvent des atten- tats isolés, assassinats, guet-apens, empoisonnements, vengent des années de mauvais traitements et de cruautés. C’est un lien commun de la littérature destinée aux hautes classes que le conseil de méfiance à l’égard du serf. On le juge capable de tout. L’excès de la misère le pousse même parfois à la révolte ouverte. Des explosions soudaines se produisent, analogues aux guerres serviles de l’antiquité. Ces jacqueries tumultueuses de désespérés sont, sem- ble-t-il, surtout provoquées par les abus de la mainmorte, les restrictions aux droits d’usage et l’arbitraire des rede- vances imposées aux vilains. Les chroniqueurs de ce temps ont rarement jugé à propos de les signaler dans leurs annales. Ils n’ont guère noté que les plus graves, celles de la Saxe, de la Frise, de la Hollande, celle de 1095 aux Pays-Bas, et en France, celle de 1008 en Bretagne et du début du x1° siècle en Normandie. Cette dernière a -été immortalisée cent ans après dans le poème de Wace, qui, par une fiction toute littéraire, a mis dans la bouche des paysans rebelles les énergiques accents et les revendica- tions égalitaires d’une sorte de Marseillaise rustique. En réalité, ces jacqueries accompagnées d’incendies et de massacres, déchaînées au hasard, sans programme et sans lien, finissaient toujours de la même manière, par une répression atroce et impitoyable, qu’exerçaient les hautes classes revenues de leur surprise. Ainsi finit notamment, souf la direction d’un grand seigneur, sinistre figure de bourreau, Raoul de Fougères, la jacquerie normande. Mais la force resta impuissante pour enrayer cette fermen- tation sociale. Celle-ci persistait au commencement du XII° siècle, au témoignage des plus perspicaces des obser- vateurs contemporains. Elle était le signe avant-coureur de la grande révolution sociale et économique qui allait, en deux cents ans, transformer le régime du travail.