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LES DÉPENSES DE GUERRE DE LA FRANCE
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Pour les juristes français, le problème de la révision des marchés
de la guerre soulève deux questions très délicates : celle de la lésion comme
vice entachant la régularité des contrats, et celle de la non-rétroactivité
des lois (1).
En fait, il n’est pas douteux qu’en temps de guerre beaucoup de mar-
chés sont entachés de lésion. Mais cela ne résout pas la question de droit :
la lésion, en droit public, est-elle un vice du consentement ? Pour ma part,
je suis disposé à l’admettre. Les règles du droit privé ne forment pas
un obstacle, car, en droit français, les règles du droit privé ne s’appliquent
pas nécessairement au droit public : il faut toujours les combiner avec
les nécessités du bon fonctionnement des services publics. Or, en temps
de guerre, les agents publics sont en fait obligés, pour assurer le bon fonc-
ttonnement des services publics de Défense nationale, de passer des marchés
sans pouvoir en discuter sérieusement les prix ou sans pouvoir résister
aux prétentions excessives des fournisseurs qui abusent de leur mono-
pole de fait.
Laissons de côté le mécanisme de la mesure prescrite par le projet
de loi voté par la Chambre.
Ce qu'il y a à retenir, c’est que le gouvernement, en présentant le
projet, la Chambre en le votant, ont estimé : 1° que la lésion est, en
droit public, au moins en temps de guerre, un vice du consentement, et
29 qu’une procédure de révision ne viole pas le principe de la non-rétro-
activité des lois.
YTl
Il ne semble pas d’ailleurs que le Sénat partage l’avis du gouverne-
ment et de la Chambre. La commission sénatoriale chargée d’examiner
le projet de la Chambre n’en a pas encore délibéré (1925), et cela,
malgré les rappels adressés par la commission des marchés de guerre
de la Chambre des députés.
Le 7 avril 1922, cette commission rapportait favorablement un
projet de résolution invitant le gouvernement à demander au Sénat
de hâter le vote du projet de loi (2). Le Sénat a constamment opposé
sa force d’inertie. Il est à peu près certain qu’une révision n’interviendra
pas.
(1) Pour le développement de ces idées, voyez Gaston Jèze, Les principes généraux du
droit administratif, 3° édition, I, La technique juridique, 1925, p. 132 et s.
(2) Rapport DuriN, 7 avril 1922, Chambre, Documents, n° 4.274.