LES POUVOIRS FINANCIERS DU GOUVERNEMENT
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En 1914, les conditions politiques n’étaient plus les mêmes
qu’en 1870. Le gouvernement et les Chambres ont des attributions
nettement déterminées : les lois constitutionnelles de 1875, la loi du
14 décembre 1879, une longue tradition, enfin l’esprit démocratique
assignent, en matière financière, la prépondérance au Parlement. Mais
la guerre a des nécessités telles que le maintien strict, intégral, des prin-
cipes généraux était une impossibilité manifeste. Il convenait donc de
les modifier et de les adapter aux circonstances.
SEcTIoN Î
La pratique extra-légale en temps de crise
H faut reconnaître d’ailleurs que, jusqu'alors, même en temps de paix,
les gouvernements, tout en affirmant qu’en matière financière le dernier
mot appartient au Parlement et que rien ne peut se faire sans la volonté
des Chambres, en avaient pris quelquefois singulièrement à leur aise
avec les règles de l’autorisation préalable et de la spécialité des crédits
budgétaires. Il n’était pas sans exemples qu’ils eussent mis délibéré-
ment de côté les principes fondamentaux de notre organisation poli-
tique, lorsqu'ils avaient estimé que la chose était utile pour le pays.
Les exemples sont même tellement nombreux que l’on pouvait
en faire la théorie, et dire qu’en France, en cas de crise, ie gouvernement
engage des dépenses additionnelles sans demander au Parlement les
crédits préalables (1) et sans se considérer comme lié par la règle de
la spécialité.
Tout au plus sollicitait-t-il, avant d’engager la dépense ou même de
la payer, l’assentiment de la commission du budget de la Chambre et
de la commission des Finances du Sénat, ou du président et du rappor-
teur général de ces commissions. C’est ce qu’on appelait une ouverture
clandestine de crédits. Une fois la crise passée, lorsque le gouvernement
pouvait, sans compromettre la sûreté nationale, publier l’opération effec-
tuée, les ministres expliquaient leur conduite et demandaient aux Cham-
bres un bill d'indemnité. C’est'ainsi que les choses s’étaient passées en 1898
lors de l'incident de Fachoda, et en 1905-1906 pour la crise du Maroc (2).
Il semble même, qu’à une certaine époque (1897), des faits beaucoup
plus graves aient été accomplis.
Le 5 février 1915, le grand journal conservateur Le Temps revendi-
"à
(1) Cette théorie est aujourd’hui expressément consacrée par une loi de 1922.
(2) Voyez sur ces incidents : Jèze, Le Budget, 1910, p. 434 et suivantes et dans Rev, Sc, Lég. Fin,
1906, p. 21 et suivantes ; 1907, p. 5 et suivantes ; 1913, p. 126 et suivantes.
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