178
LES DÉPENSES DE GUERRE DE LA FRANCE
quait comme un titre de gloire pour certains hommes politiques non seule-
ment le fait d’avoir osé engager, sans l’autorisation préalable des
Chambres, une dépense de 30 millions de francs pour la fabrication rapide
du canon de campagne 75, mais encore celui d’avoir obtenu des Chambres
une ouverture rétrospective de crédits sans leur faire connaître l’objet
de ce crédit (1).
Ce qu’il faut critiquer, ce n’est pas l’engagement, dans les crises
nationales très graves, de dépenses sans crédit et au delà des crédits :
il y a là des 1llégalités regrettables, mais parfois inévitables, auxquelles
un gouvernement doit se résigner. Ce qui est inadmissible, c’est que
lillégalité soit suivie — même avec les intentions les plus louables —
de dissimulation, de réticences, de manœuvres destinées à surprendre
la confiance des Assemblées politiques.
C’est d’ailleurs ce qu’ont très bien compris les ministres qui étaient
au pouvoir au moment de la déclaration de guerre. Ils n’ont pas voulu
assumer la responsabilité d’engager les dépenses de guerre au mépris
de tous les principes budgétaires. Ils ont demandé au Parlement une
modification de ces principes, un régime nouveau adapté aux circons-
tances nouvelles résultant de la guerre.
C’est l’objet de la loi du 5 août 1914.
SEcTioN ÎI
La loi du 5 août 1914 : abandon par le Parlement d’une partie de ses
pouvoirs financiers
Dès la déclaration de guerre, le gouvernement demanda au Parle-
ment de desserrer les règles quelque peu étroites de l'autorisation
préalable du Parlement et de la spécialité des crédits budgétaires :
ces règles, bonnes pour le temps de paix, sont, affirma-t-il, manifes-
tement impraticables en temps de guerre (2).
Afin d’avoir les mains libres au point de vue de l’engagement des
dépenses pour la conduite des opérations de guerre, le gouvernement
fit voter la loi du 5 août 1914, modifiant la loi du 14 décembre 1879 sur
les crédits supplémentaires et extraordinaires à ouvrir par décrets pour les
besoins de la Défense nationale.
(1) Le Temps, n° du 6 février 1915, page 1, article intitulé Ceux à qui l’on doit le T5. Cpr. Illus-
tration, 10 février 1915. Gaston JÈzE, les Finances de guerre dela France, 1915, t. I, p. 86 et sui
vantes.
(2) En Angleterre, une solution analogue se trouve dans la pratique des votes of crédit. Voyez
Gaston Jèze, Les votes de crédit, dans la R. S. L. F., 1915, p. 27 et suivantes. Cpr. aussi une solution
analogue adoptée par l’Italie lors de la déclaration de guerre à l'Autriche, loi « des pleins pouvoirs »
(mai 1915) ; et aussi par la Suisse (loi du 3 août 1914; Bulletin de statistique et de législation comparée,
janvier 1915, p. 215 et suivantes).