L’ÉVOLUTION JAPONAISE DANS SES RAPPORTS AVEC L'ÉTRANGER 11
l’étranger, exception faite de la Chine et de la Hollande, il a suivi
dans son évolution sociale et économique à peu près les mêmes
progrès que les pays européens, et cela dans une suite chronolo-
gique presque parallèle à la leur. En face du tout fermé de l'univers
extérieur, la vie sociale et économique du Japon se trouvait à peu
près dans le même état que celle des pays d'Europe. J'ai prouvé
notamment, en me basant sur l’évolution réelle, la fausseté de la
conception répandue même au Japon, mais surtout en Europe,
d'après laquelle le Japon aurait été, pendant la durée de la domi-
nation des Shoguns, un Etat féodal. Le shogunat représente un
gouvernement policier absolu, comme il en a existé dans les pays
d’Europe qui s’efforçaient de réaliser l’unité nationale. L'Etat japo-
mais au dix-septième et au dix-huitième siècle n’était plus un Etat
féodal morcelé, mais dans une large mesure un Etat centralisé.
L'ouverture du pays, imposée par l’Amérique au Japon, représente
un stimulant pour une civilisation déjà développée à l’intérieur,
mais rendue presque impossible par la fermeture. L'ouverture fut
uniquement le résultat de l’impossibilité pour un Etat, tellement
centralisé, de se développer davantage dans ce milieu fermé.
Une fois le pays délivré de ses barrières, l'impossibilité se mua
en possibilité. Le développement ultérieur de la civilisation japo-
naise était, comme je l’ai dit, une impossibilité dans l'Etat fermé,
elle fut brusquement écartée du fait de l’ouverture du pays. Et rien
ne sembla plus urgent pour le Japon d'alors que d’adopter les acqui-
sitions de la civilisation étrangère.
Il suit de là que la culture indigène et la culture européenne
s’opposent au Japon comme deux facteurs que l’on peut séparer en
toute clarté, et dont l’action particulière, aussi bien que l’action
réciproque qu’ils exercent l’un sur l’autre peuvent être observées
sous des traits remarquables auxquels il est tout à fait impossible
de se tromper. Enfin, l’accroissement de la cyclicité, qui est devenu
d'autant plus efficace que la civilisation étrangère se développait
davantage, peut être constaté de la façon la plus frappante.
Telle est la raison pour laquelle l’évolution économique du Japon
permet une observation qui possède presque l’exactitude d’une ex-
périence dans les sciences naturelles.
Dans les autres pays civilisés, les deux facteurs que je viens de
citer ne constituent pas dans la même mesure deux valeurs rigou-
reusement séparables, car ils ne s'opposent pas aussi distinctement
l’un à l’autre. Pendant les siècles qui se sont écoulés en Europe,
depuis le moyen âge, l’élément de la culture gréco-romaine s’est
fondu si étroitement avec l’élément de la culture germanique qu’il