14 PRINCIPES D'ÉCONOMIE POLITIQUE
pas question de prévisions semblables à celles qui permettent
à l’astronome d'annoncer cent ans à l’avance la minute et la
seconde d’une éclipse de lune ou de soleil. Mais toutes les
sciences sont loin de cette certitude. Le botaniste ne sait pas
toujours ce qui sortira de ses hybridations. Et les prévisions
des météorologistes, à moins que ce ne soient celles des
almanachs de villages, ne dépassent guère deux ou trois
jours : pourtant personne ne met en doute que le vent, la
pluie, la grêle ou les orages, ne soient régis par des lois
naturelles. Or on peut prédire plus lontemps à l’avance
l’arrivée d’une crise commerciale que celle d’un cyclone,
et le transit du chemin de fer de Lyon à Marseille est moins
variable, certes, que le débit du Rhône dont il suit les rives :
pourtant l’un est alimenté par les hommes et l’autre par le
ciel. Si nos prévisions en fait d’Économie politique sont
toujours incertaines et à courte vue, il n’en faut donc point
conclure que les faits économiques ne relèvent que du
hasard et de la fantaisie, mais seulement que les mobiles
qui déterminent les actes des hommes sont trop nombreux
et trop inextricablement embrouillés pour que nous puissions
en démêler l’écheveau. Au resie, si un jour les hommes
pouvaient devenir infiniment sages, il est vraisemblable que
la prévision économique s’exercerait avec autant de sûreté
que pour les corps célestes (1).
Il est vrai qu’il serait absurde de vouloir prédire à l’avance
les faits et gestes de Pierre ou Paul : mais cela n’a aucun
intérêt pour l’économiste. I n’est pas un diseur de bonne
aventure. La seule chose qui lui importe, pour formuler ses
lois comme pour fonder ses institutions, c’est la conduite des-
hommes considérés en masse.
Remarquez d’ailleurs que les gens dits pratiques qui dénient
le plus vivement aux économistes la possibilité de prévision
(1) On donne comme argument, pour nier l’existence de lois naturelles en
matière sociale, ce fait que beaucoup de choses tournent autrement qu’elles
n'avaient été prévues. Cela prouve simplement notre ignorance. Mais pensez
plutôt combien de fois des choses tournent autrement qu'elles n'avaient été
voulues par leurs auteurs. Cela ne prouve-t-il pas que dans ce monde il y à
à l’œuvre des causes plus fortes que la volonté des hommes ?
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