Full text: La question d'Orient depuis ses origines jusqu' à nos jours

POSITION ACTUELLE DE LA QUESTION D’ORIENT. 391 
a pris pour instruments de cette œuvre même les puissances 
qui y perdent. Ainsi la Russie fut pour beaucoup dans la 
fondation de la Serbie, de la Grèce, de la Bulgarie, et elles 
ont échappé à son influence, et la Bulgarie lui barre, avec 
la Roumanie, le « chemin de Byzance ». De la même ma 
nière d’ailleurs la France a travaillé du meilleur de son sang 
à la fondation de l’Italie, et l’Italie est dans la Triple Al 
liance depuis plus de trente ans. Il arrive que les peuples 
comme les individus pratiquent l’indépendance du cœur. 
Voici pourtant que l’Autriche elle-même vient de donner 
naissance à une nationalité qui s’ignorait, l’Albanie : il fau 
dra voir le résultat de cette politique généreuse. Longtemps 
réduits à d’infimes proportions, tenus en tutelle, menue 
monnaie des combinaisons diplomatiques des grandes puis 
sances, les États ehrétiens des Balkans viennent de grandir 
en taille et en prestige ; il faudra maintenant compter avec la 
Serbie, avec la Grèce, avec la Bulgarie, avec la Roumanie sur 
tout. Les Balkans seront désormais un élément actif de l’équi 
libre général : nouveauté politique de grande importance. 
L’établissement de la domination russe, française et 
anglaise sur une grande étendue de pays musulmans est 
un autre caractère essentiel de la Question d’Orient, car 
la péninsule des Balkans n’en est peut-être pas le centre, 
et l’Asie et l’Afrique offrent de plus étonnants spectacles. 
La nouvelle forme politique prise par l’ancienne Turquie 
d’Europe a forcé la Russie à se rejeter vers l’Est. Malgré 
ses dernières défaites, elle y a accompli une œuvre extraor 
dinaire. Entre la mer Noire et l’Océan Pacifique, de 
l’Océan Glacial vers le Pamir, son mouvement a été, depuis 
un siècle, continu. Lent d’abord et comme inconscient, il 
en est venu à franchir toute la distance nécessaire qui la sépa 
rait de l’Empire colonial anglais, et à fermer ainsi au Pamir 
le cercle dont les puissances chrétiennes enserrent l’Islam 
par le nord. 
Désormais voisine de la Chine et de l’Inde, à portée de 
leurs trésors par les voies continentales, la Russie n’a plus 
autant besoin de débouchés maritimes, et la possession de 
Constantinople n’est plus pour elle d’une urgente nécessité 
économique. Elle s’intéresse avec moins de passion auxaf- 
faireô des Balkans, ne cherche qu’à couvrir de ce côté son 
flanc droit contre des hostilités trop redoutables. Dès lors, 
elle ne se heurte plus à la rivalité de la France, elle peut 
même s’entendre avec l’Angleterre, et tous les systèmes di-
	        
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