AVANT-PROPOS
Du moins ne pourra-t-on nous reprocher d’avoir man-
qué de respect aux grands économistes qui ont fait
notre science, ni à cette science elle-même. Nous nous
sommes appliqués, au contraire, à la disculper de tant
d’appréciations injurieuses qu’elle avait eu à subir,
telle que d’être qualifiée de littérature ennuyeuse par
M. Thiers, ou même de science inhumaine par Carlyle,
— en la présentant comme une science humaine et natu-
relle à la fois : humaine, en ce qu’elle a pour objet
moins la richesse que les besoins et les désirs des
hommes, en tant que ces désirs créent la valeur des
choses ; naturelle, en ce qu’elle suppose l’existence de
lois, au sens d’enchaînement des faits, supérieurs aux
volontés individuelles : « en toutes choses humaines, dit
Shakespeare, il y a une marée qui prise au flot montant
porte à la fortune, ou qui fait échouer dans le voyage
de la vie ». Mais cette marée, le plus souvent, est déclen-
chée par les hommes eux-mêmes, telle que celle dont la
chute du franc nous donne à cette heure un formidable
exemple.
Nous ne sommes même pas de ceux qui dénient à
l’Economie politique le droit de se constituer à l’état
d’Economie pure, en tant que science mathématique de
l’échange ou science psychologique de l’utilité : nous
avons toujours réclamé pour elle une place dans l’en-
seignement, mais nous réclamons aussi le droit à l’exis-
tence et à l’autonomie d'une Economie politique où la
justice aura sa place à côté et au-dessus de l’utilité.
Ce ne sera plus alors, dit-on, la vraie Economie poli-
tique ? Soit ! qu’on lui donne, si l’on veut, un nom
différent. Toujours est-il que la pénétration de la mo-
rale dans la science économique a marqué ce que j'ai
appelé, dans la préface d’une précédente édition, un
grand dégel. La science économique y a perdu ses belles
formes cristallines, et même il en est résulté quelque
débâcle, mais c’est celle du printemps : elle a été vivi-
fiante.
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