LES CLASSES RURALES EN OCCIDENT 121
maître. Moyennant une stricte obéissance, une subordi-
nation complète, l’acquittement exact de ses charges, il
put vivre sur sa tenure dans une sécurité relative. Désor-
mais relevé dans sa condition morale et matérielle, pos-
sesseur d’un foyer et usufruitier d’une terre dont il per-
cevait une partie des fruits, il apprit pour la première
fois la vertu et l’utilité du travail. Le servage réalisa sur
la servitude un grand progrès économique et social. Mais
il n’était encore qu’un état transitoire, précaire et impar-
fait, qui livrait les classes rurales à l’exploitation souvent
arbitraire des maîtres du sol.
Des liens étroits enserraient encore en effet les masses
serviles, au grand avantage des propriétaires fonciers.
Le serf, dépourvu de toute personnalité civile, n’était
toujours qu’un objet de propriété, qu’un homme de poesie
(homo in potestate), ainsi qu’on l’appelait. Il n’avait pas de
statut légal ; la loi ne le connaissait pas. Assimilé au cheptel
domanial, il pouvait être vendu, échangé, transmis avec
la terre et le-bétail. Les membres de sa famille, semblables
au croît des animaux, n’étaient nullement garantis contre
la dispersion. Pour se marier, il lui fallait l’assentiment
du maître. Il ne pouvait posséder qu’un pécule formé de
biens mobiliers, de quelques têtes de bétail, de gains
personnels (conquêts). Encore n’avait-il la faculté de le
transmettre à ses enfants, que sous réserve de l’autorisa-
tion de son seigneur. Celui-ci le représentait seul en jus-
tice; il exerçait sur le serf une autorité illimitée ; point de
recours contre les violences du pouvoir seigneurial. En
fait, l’intérêt du propriétaire était la seule règle qui limi-
tât ses exigences à l’égard du paysan. C’était celui-ci
qui faisait vivre le maître, À Prum, par exemple, l’abbaye
subsistait à Pl’aide des 6.000 boisseaux de grains, des
4.000 muids de vin, des 20.000 œufs, des redevances en
lin (600 livres par an), en volailles (600 poules) que four-
nissaient les tenanciers. C’est le labeur de ces derniers
qui, seul, permettait de mettre en valeur les terres de la