304 L’APOGÉE DU TRAVAIL MÉDIÉVAL
consultes proclament aussi les droits imprescriptibles de
l’homme à la liberté, fondés sur légalité naturelle, comme
le font nos Capétiens, Louis VII en 1170 et Louis X en 1315,
ou le célèbre légiste Beanmanoir. Mais présque toujours,
ces sentiments idéalistes n’ont agi que sur une élite de
gouvernants, ou bien ils déguisent mal des mobiles d’ordre
réaliste. En fait, ce sont des nécessités d’ordre économique
et social qui rendent irrésistible le mouvement d’éman-
cipation.
L’avènement de la richesse mobilière menacçait grave-
ment la prépondérance de la fortune foncière. Pour main-
tenir et pour accroître la valeur et les revenus de celle-
ci, il fallut retenir les paysans sur la terre, accroître le
rendement de leur travail, empêcher l’exode des serfs
vers les villes, attirer les colons, accorder enfin à la main-
d’œuvre paysanne la rémunération et les garanties qu’on
lui avait si longtemps refusées. Les chartes l’avouent
parfois crûâment. L’émancipation, dit l’une d’entre elles,
a pour objet « le multipliement » des cultivateurs. Elle tend,
disent un grand nombre d’autres, à sauvegarder « l’intérêt
bien entendu (ad utilitatem) des propriétaires et à amé-
liorer (ad emendationem villarum) leurs exploitations ».
Souvent même, ce sont des besoins d’un ordre immédiat
qui déterminèrent les maîtres à émanciper leurs sujets.
Is vendent la liberté à beaux deniers comptants, pour des
indemnités de rachat globales, ou pour des redevances
annuelles, en vue de suffire aux exigences de leurs créan-
ciers, de leur vie de luxe et d’aventures guerrières, ou de
S’assurer sans peine des revenus réguliers. C’est pourquoi
en Champagne (1248), en Toulousain et en Albigeois (1298)
et même dans les domaines des Capétiens et des Planta-
genets, l’affranchissement obligatoire des serfs fut décrété,
comme un expédient de fiscalité, plus avantageux pour
le propriétaire que pour le tenancier,
Des considérations politiques interviennent aussi Pour
favoriser le mouvement émancipateur. Les pouvoirs prin-